Une Ville Se Raconte : la récithèque

 

A quelques kilomètres de Paris, une ville de banlieue peut-elle se mettre en quête de ses racines ? Possède-t-elle une mémoire collective ? Est-elle détentrice d'une parole ? S'il existe des réponses à ces questions, on pourrait les esquisser en examinant un projet conçu à Chatenay-Malabry par le théatre du Campagnol, maître d'oeuvre en 1979 d' "Une ville se raconte, une ville se rencontre". D'abord destinée à susciter le goût pour le théatre et pour sa pratique dans le milieu éducatif, élargie et soutenue par le Fonds d'action culturelle, l'action d' "Une ville se raconte" a concerné les enseignants et leurs élèves, puis tous les groupes sociaux, tous les aspects de la cité composite de Chatenay.

Les récits des Chatenaysiens recueillis par les comédiens ont nourri les spectacles créés dans la piscine désaffectée investie par le Campagnol et de plus en plus des ateliers d'amateurs animés par les acteurs. Ce fut le point de départ d'une collecte d'enregistrements de toute personne prête à raconter, à revenir sur son passé, à dire son expérience, son trajet dans sa vie quotidienne. Les conteurs ont finalement paricipé à une oeuvre de mémoire.

Ainsi s'est constituée la récithèque à partir de 1982. D'un groupement aléatoire de populations diverses, d'anciens villages agglomérés, de quartiers et de constructions hétérogènes mais très proches, il n'est pas question de dégager une étude de sociologie. Ce n'était nullement l'ambition des initiateurs de la quête. Pas davantage de leurs successeurs.

Nous avons eu le désir et le plaisir de recueillir et de conserver la parole non pas des acteurs de la vie publique, des grands témoins de l'HISTOIRE mais les voix de la "petite histoire", engranger des matériaux qui édifient la vie quotidienne d'une population sinon d'un peuple. Réveiller les souvenirs, les nostalgies, les savoirs et les anecdotes, faire renaître une réalité vécue - sans distance ni analyse - riche d'affectivité. Certes nous écoutons des discours subjectifs, parfois marqués de préjugés et de tabous, d'irrationalité. Mais leur spontanéité et leur authenticité interdisent de leur dénier une valeur. Grâce à eux, on a pu monter des spectacles, révéler des talents, créer des liens entre les générations, susciter une dynamique d'expression.

La Récithèque peut encore s'enrichir. Telle qu'elle existe actuellement, elle offre ses ressources aussi bien aux auteurs dramatiques, aux écrivains, aux chercheurs aussi bien qu'aux simples citoyens curieux de se situer dans une tradition, d'établir des liens avec leur passé ou d'évaluer les différences entre les générations.

Louise Bluman - Février 2009